Description
«Que le spectacle soit une fête mais aussi un moment de réflexion et de découverte, dans un esprit de tolérance et de respect de la différence.»
Telle est la devise de la Compagnie théâtrale Les Antonins. Parce que nous sommes porteurs de paroles, nous pensons que nous avons une responsabilité, pour ne pas dire une «mission». Nous aimons faire découvrir, ou redécouvrir, les textes des grands auteurs. Nous avons monté des pièces de Giraudoux (Judith, Les Gracques), de Sartre (adaptation des Troyennes d'Euripide), de Montherlant (Port-Royal), de Sylvain Itkine, auteur oublié qui a eu son heure de gloire en tant que théoricien, résistant mort très jeune sous la torture (Don Juan Satisfait, projet soutenu par la Bibliothèque Nationale de France qui avait organisé un colloque sur Sylvain Itkine).
Mais rien de pseudo-intellectuel. Si le public adhère à nos spectacles, c'est parce que nous l'embarquons dans un univers magique fait de lumières, de couleurs, et où, sans même avoir à réfléchir, il reçoit des émotions fortes et authentiques grâce au jeu incarné des comédiens. Car le théâtre n'est pas un lieu de conférence: c'est un espace, d'abord visuel, où le spectateur retrouve l'émerveillement de l'enfance et où, grâce à la catharsis, il adhère pleinement aux multiples émotions des personnages. Après seulement, vient le moment de la réflexion.
Il est évident que notre éthique va à l'encontre d'un système où prévalent la rentabilité et la notoriété quels que soient les moyens d'y parvenir. Nous survivons sans aucune subvention et nous privilégions souvent la cause à défendre aux dépens de nos intérêts personnels. L'an dernier, les comédiens de notre compagnie (tous professionnels) ont participé bénévolement au premier festival de Marcilhac-sur-Célé: il s'agissait de valoriser l'abbaye en ruines, une superbe abbaye du XIème siècle que l'abbé Guillaume Soury-Lavergne veut faire restaurer (Voir ici). C'était un vrai bonheur de jouer Port-Royal de Montherlant dans un tel cadre et de sensibiliser le public à la sauvegarde de ce magnifique patrimoine. Nous aimerions renouveler l'expérience en août 2017, d'autant que, malgré certaines aides, l'abbaye ne peut être encore totalement sauvée. Les comédiens ne pourront, cette fois encore, être rémunérés mais il est évident qu'étant donné que c'est leur métier, ils ne peuvent pas se permettre de travailler bénévolement tous les ans, même s'ils ne sont pas gourmands et même s'ils sont très motivés. Cette année, nous projetons de monter L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, en accord avec l'Abbé et, par ailleurs, nous rejouons Port-Royal à Paris (Théâtre du Nord-Ouest) et nous aimerions pouvoir en faire une captation. Tout ceci, faire résonner le magnifique texte de Claudel dans les ruines de Marcilhac, diffuser et faire connaître le non moins superbe texte de Montherlant, a un prix que nous ne pouvons assumer sans aucune aide: indemnisation d'une dizaine de comédiens, frais de costumes, de publicité, captation,... Mais nous avons bon espoir car, nous l'avons constaté, il y a un public de tout âge, heureux d'entendre ces textes, de découvrir ces grandes mises en scène qui élèvent l'âme et vous embarquent bien plus loin qu'un stand-up ou qu'une soirée plateau-télé.
«C'est ça, le théâtre? Nous, on croyait que c'était ce qu'on voyait à la télé mais c'est vachement mieux!» (dixit un groupe d'adolescents)
Describe your project goal
Port-Royal, Henry de Montherlant Mise en scène: Céline Bédéneau
Réflexions du metteur en scène
Introduction Toutes les pièces de Montherlant possèdent un panache indéniable, que ce soit dans l’écriture, dans la grandeur des personnages ou dans la somptuosité des décors et des costumes, voire même dans les titres (La Reine Morte, Le Cardinal d’Espagne, Le Maître de Santiago,…) C’est ce qui peut séduire un metteur en scène mais c’est aussi pour lui un piège, surtout en ce qui concerne Port-Royal dont l’action se situe en pleine époque baroque. Voici un couvent de sœurs rebelles (aubes blanches et scapulaires marqués d’une croix de sang), habitées par une foi qui n’admet, a priori, aucun état d’âme, fidèles à leurs convictions jusqu’au martyre. Puis, voici l’entrée fracassante d’un archevêque accompagné de sa suite, sur fond d’un XVIIéme siècle rouge encore du sang de la Fronde. Voici, enfin, une situation qui colle à la réalité historique. Mais Montherlant ne donne pas dans l’artifice et le clinquant de la reconstitution. Il ne veut pas de ce théâtre complaisant fait pour flatter le goût du public par « un tintamarre grossier », comme il l’explique lui-même dans la préface de Port-Royal. Ce qui l’intéresse, c’est à l’instar des tragédies grecques, une action intérieure, cependant intense, qui finira, d’ailleurs, par imploser.
- visibilityL’actionQue se passe-t-il lorsque le monde extérieur, avec ses intrigues et ses lois, s’immisce dans la vie d’une communauté bien réglée selon un ordre rigide ? Quels effets dans les âmes des soeurs de cette communauté ? C’est cette évolution, cette révolution, que nous suivons après l’arrivée de l’archevêque qui agit comme un catalyseur. Et, peu à peu, nous découvrons l’humain derrière ce glacis de pureté, cette uniformité bien ordonnée. Le tempérament de Sœur Angélique est bien plus passionné et émotif que celui qu’elle manifeste et dicte à ses novices. Sœur Françoise, encore jeune et exaltée, va devenir pleinement adulte sous nos yeux jusqu’à acquérir une vraie réflexion. Ainsi vont-elles, toutes deux, s’acheminer, l’une, vers les portes des ténèbres, l’autre, vers celles de la lumière.
- visibilityLa complexité des personnagesMais à Port-Royal, il n’est pas de bon ton d’exhiber ses sentiments et le vernis résiste encore malgré les épreuves, sans compter le climat de suspicion qu’elles suscitent. Les comédiennes doivent donc, non seulement doser leurs émotions, qui jaillissent par flammèches ou par de plus grandes flammes vite étouffées, mais aussi réfléchir à ce que cachent les mots (quel trouble, par exemple, dissimule l’excès d’autorité de Sœur Angélique envers Sœur Françoise). Plus que jamais, il faut prendre en compte la situation, ne pas la perdre de vue et cerner l’essentiel (le craquement des souliers de Sœur Françoise n’est pas la vraie préoccupation de Sœur Angélique). Une autre difficulté est la psychologie des personnages qui ne sont pas définis une fois pour toutes : ils évoluent, se transforment ou plutôt dévoilent peu à peu leur nature profonde. Sœur Françoise a par moments, dans sa scène avec l’archevêque, une voix plus grave, des phrases plus affirmées : la chrysalide devient papillon. Quant à Sœur Flavie, c’est un personnage bien plus complexe qu’il n’apparaît: ce n’est pas la méchante, Montherlant est bien trop subtil pour la limiter à cet emploi. La scène avec Sœur Angélique révèle la nature profonde du problème : la différence sociale entre ces deux religieuses. Malgré l’évidence de la situation, l’acte d’accusation proféré par la très respectable Sœur Angélique contre la venimeuse Sœur Flavie, l’affrontement qui va croissant fait tomber les masques. Sœur Angélique perd toute contenance, trahit son orgueil et son mépris vis-à-vis de ses coreligionnaires au point que Sœur Flavie prend l’avantage en lui rappelant les règles de Port-Royal. Et cette soi-disant méchante, qui est plutôt à plaindre car en mal d’amour, va presque nous émouvoir : « nous étions faites pour nous entendre, ma Sœur, vous la toute parfaite et moi la très imparfaite, comme celles qu’on rapproche au noviciat, l’une pour soutenir l’autre… » Nous n’en aurions pas fini de détailler la complexité de chaque personnage : l’archevêque pourrait faire l’objet de tout un chapitre.
- visibilityLe décorAu vu de cette étude, il nous a paru évident que l’authenticité psychologique et cette action toute intérieure ne pouvaient s’accompagner d’un décor tape-à-l’œil (reconstitution d’un couvent avec vue sur un cloître fleuri,…) Nous suivons à la lettre Montherlant qui voudrait « des pièces d’où soit bannie toute la mécanique foraine ». Cette authenticité ne s’apparente ni au naturalisme (même si la vie du couvent est évoquée, nous ne surprenons jamais les sœurs dans leurs tâches quotidiennes), ni à la reconstitution historique malgré les faits réels et beaucoup de propos qui ont été effectivement prononcés ou écrits. D’où la mise en garde que nous faisions en préambule. Port-Royal ne nécessite aucun décor, à moins qu’il ne soit signifiant, une immense croix par exemple, ou alors il faut représenter la pièce dans un lieu authentique. Et n’en oublions pas le thème : le jansénisme qui prône le dépouillement. C’est en ce sens que nous avions choisi la Chapelle du Collège des Jésuites à Eu (et encore avions-nous décidé de ne pas jouer du côté du chœur trop chargé de marbres et de dorures) ainsi que les ruines de l’abbaye de Marcillac-sur-Célé (les ruines pouvant évoquer la fin de Port-Royal mais aussi sa grandeur). Et quel bel épilogue que cette petite religieuse (Sœur Françoise), seule dans les ruines tandis que les sœurs de la désolation s’acheminent, mystérieuses et sombres, pour prendre possession de l’église ! Le chant de la sœur, d’abord timide, s’affirme tandis que son visage est illuminé par une foi intense. Nous retrouvons la grandeur de Montherlant sans avoir recours aux artifices et l’action n’en est que plus intense. Le public retenait son souffle sans manifester aucune lassitude malgré l’absence d’entracte et les deux heures et quelque de spectacle (dixit des spectateurs).
- visibilityUn thème toujours d’actualité
Mais certains m’objecteront que le sujet est tout de même assez austère et difficile d’accès. En effet, comment être sensible au sort de ces religieuses qui risquent l’excommunication (surtout si l’on n’a pas eu d’éducation religieuse) et comprendre l’intensité du drame ? Comment le spectateur du XXIème siècle peut-il concevoir l’importance d’un évènement (la mise à bas du Port-Royal) qui a eu lieu en 1664 au fond d’un couvent ? Comment la catharsis peut-elle opérer ? Ce sont les mêmes questions auxquelles sont confrontés les comédiens qui, eux aussi, vivent au XXIème siècle et qui, eux aussi, n’ont pas forcément reçu une éducation catholique. Avant d’aborder le jeu, ils doivent effectuer tout un travail, entre autres de documentation, pour bien comprendre certains termes, mais aussi l’importance qu’avait la religion à cette époque : on discutait de la grâce à table, et pour quelques hosties répandues par un voleur sur le sol de Saint-Sulpice, tout Paris (bourgeois et manants) s’était rassemblé en une longue procession. Les comédiens doivent s’approprier ces émotions qui leur sont étrangères. Ils doivent avoir la même passion que leur personnage quand il discute de la grâce (ce qui signifie s’être bien renseigné sur le sujet). Plus leur jeu sera sincère (parce que donc nourri), plus le spectateur sera en symbiose avec eux sans qu’il n’ait, lui, à potasser la question car tout lui semblera clair, évident. Au moment de la représentation, ce sont les émotions qui prévaudront.
D’autre part, sans vouloir « revisiter » la pièce, le sujet de Port-Royal nous ramène à des faits semblables plus récents : les arrestations pendant la Résistance et, à l’heure où les guerres, hélas ! se multiplient, toutes les pressions exercées par une autorité pour obtenir des aveux ou une signature au bas d’une déclaration (en l’occurrence, le Formulaire du pape). D’ailleurs, Montherlant avait écrit un premier Port-Royal entre 1940 et 1942, à son retour de captivité : il ne pouvait être qu’influencé, malgré lui, par cette atmosphère de peur et d’austérité. Une phrase lui échappe, prononcée par le visiteur dans la première scène : « vous voici parmi les galeux..., à l’écart, au rebut, courbant le dos, rasant le mur, comme un vaincu dans son pays occupé. »
Ce sont de telles évocations, suggérées par le metteur en scène, qui ont aidé les comédiens à trouver la justesse des émotions et à rendre actuel le sujet sans avoir recours à des artifices extérieurs. - visibilityConclusion
Tout ce travail de fond sur la psychologie, la situation, loin d’intellectualiser la pièce, donne de la chair aux personnages tout en restituant la noblesse qui leur est propre. Et l’écriture magnifique de Montherlant ajoute à ce panache (que nous évoquions plus haut) sans que le comédien se laisse embarquer dans le pathos ou le lyrisme. Viennent ensuite les costumes, le décor, les chants et les lumières qui ne sont pas des effets gratuits : ils renvoient à la grandeur de Port-Royal et de ses personnages tels que nous les avons modelés, et c’est pour cela que le public est subjugué.